Le Système Éducatif de la Guyane : Les Défis Actuels
Écrit par Juliana Campos.
Traduit par Charlotte Codd.
La Guyane, le plus grand territoire français d’Amérique du Sud, est confrontée à des défis sociaux et économiques qui n’ont pas encore été relevés par le gouvernement français, notamment des difficultés dans l’administration du système éducatif guyanais.
La population guyanaise a doublé au cours des 20 dernières années et est aujourd’hui estimée à 301 099 habitants. Récemment, en raison de son statut de département français d’outre-mer, la région a connu une forte augmentation de l’immigration en provenance de pays voisins tels que le Brésil et le Suriname. L’immigration incontrôlée, les infrastructures inadéquates, la pauvreté et les taux de chômage élevés ont considérablement réduit la qualité de vie en Guyane et la région est confrontée à plusieurs défis qui rendent plus difficile l’accès aux services de base tels que les soins de santé et l’éducation.
Les problèmes liés aux inégalités sociales et économiques bénéficieraient grandement d’un plus grand intérêt du gouvernement français pour l’amélioration et le développement de l’éducation en Guyane. Bien que des investissements substantiels aient été réalisés au cours de la dernière décennie, l’argent seul ne suffit pas à garantir l’accès à une éducation de qualité.
Le Système Éducatif Guyanais
En Guyane, l’enseignement est gratuit et obligatoire de 6 à 16 ans. L’enseignement primaire dure cinq ans et, pour cette étape particulière de la vie scolaire, les taux de scolarisation sont plus élevés que jamais dans les grandes villes et s’améliorent lentement dans les zones plus reculées où les ressources sont moins abondantes, comme dans les établissements autochtones. Comme c’est le cas dans d’autres pays en développement, le taux élevé de scolarisation dans l’enseignement primaire est contrasté par des taux d’abandon alarmants dans l’enseignement secondaire.
Ce phénomène s’explique en grande partie par le fait que l’école primaire est généralement moins chère pour les gouvernements et que les enfants de cette tranche d’âge sont plus susceptibles de rester à l’école, car les parents ne peuvent pas encore les laisser sans surveillance à la maison pendant qu’ils travaillent. Dans l’enseignement secondaire, en revanche, de nombreux enfants se voient confier des tâches supplémentaires à la maison ou sur le marché informel en pleine expansion, certains vivent trop loin de l’école et d’autres ne sont tout simplement pas encouragés par les membres de leur famille à poursuivre leurs études.
En outre, il convient de mentionner que, bien que tous les enfants guyanais aient le droit d’aller à l’école gratuitement, les études ne sont pas gratuites. Les coûts supplémentaires liés au transport, aux vêtements, à la nourriture et au matériel scolaire pèsent lourdement sur les familles à faibles revenus et peuvent affecter le taux de fréquentation des élèves.
Pour remédier à ce problème, le gouvernement français et les autorités guyanaises ont mis en place des programmes d’aide financière visant à motiver les étudiants et leurs familles. Les primes sont accordées aux boursiers et concernent 46,4 % des collégiens et lycéens de Guyane. Cependant, il n’existe pas de données de suivi sur l’efficacité de ces mesures.
La Pénurie d’Enseignants et les Inégalités
Un autre problème qui entrave actuellement la qualité de l’enseignement en Guyane, c’est la pénurie d’enseignants qualifiés. Le nombre d’éducateurs diplômés originaires de la région est insuffisant par rapport au nombre d’élèves, ce qui a eu pour effet de surcharger les classes au fur et à mesure que la population guyanaise augmentait.
Cette demande a amené des enseignants de France métropolitaine et des pays limitrophes d’Amérique du Sud à travailler en Guyane, ce qui a posé de nouveaux problèmes car ces professionnels ne connaissent généralement pas les spécificités de la région.
En fait, l’un des plus grands défis auxquels le gouvernement français est confronté lorsqu’il administre l’éducation en Guyane est sa société extrêmement diverse et multiculturelle. Bien que les enseignants aient la liberté d’adapter le matériel aux réalités de leurs élèves, les manuels sont généralement fabriqués en France métropolitaine et les cours sont dispensés en français, la langue officielle.
En effaçant l’histoire, la géographie, les langues et le patrimoine de la Guyane, des manuels et des examens nationaux, les autorités françaises perpétuent l’idée colonialiste selon laquelle l’histoire et la culture de la France métropolitaine sont d’une certaine manière plus pertinente que celles de ses autres territoires. En conséquence, les enfants peuvent trouver les contenus scolaires difficiles à comprendre ou à appréhender et peuvent grandir dans l’ignorance de nombreux héros et personnages historiques de leur région. En outre, cet effacement a un effet direct sur l’estime de soi des élèves et peut les décourager de poursuivre leurs études.
L’adaptation des contenus scolaires par les enseignants locaux ne peut pas s’écarter beaucoup du programme français, car les élèves de Guyane sont également soumis à des examens nationaux standardisés tels que le Brevet, l’examen du premier cycle du secondaire, et le Baccalauréat, l’examen de qualification académique français.
Compte tenu des points mentionnés précédemment, il n’est pas surprenant que les élèves guyanais n’obtiennent pas les mêmes résultats que les élèves de France métropolitaine. Selon GrowThinkTank et l’INSEE (2014), l’année de l’étude en Guyane, seuls 76% des étudiants âgés de 15 à 19 ans étaient scolarisés, que ce soit en tant qu’élèves, étudiants ou apprentis, contre 89% en France métropolitaine. Par ailleurs, plus d’un Guyanais sur deux n’est plus scolarisé à partir de 19 ans, contre 72 % en France métropolitaine au même âge.
Cette différence frappante ne provient certainement pas d’un manque de résilience, d’un manque d’intelligence ou d’une quelconque caractéristique exclusive de la jeunesse guyanaise. Il s’agit simplement d’un produit de l’inégalité et du manque d’opportunités. L’absence d’école ou le décrochage scolaire ont des effets durables sur les jeunes, non seulement pour leur avenir professionnel, mais aussi pour leur développement individuel en tant qu’êtres humains et en tant que citoyens, car l’école est aussi le principal lieu de socialisation des enfants.
Des enfants et un professeur dans une salle de classe / Photo de Mehmet Turgut Kirkgoz via Pexels
L’Éducation des Populations Autochtones et des Autres Minorités
Les peuples autochtones jouent un rôle important dans la société guyanaise, en préservant des connaissances culturelles précieuses, en luttant pour des changements structurels et en exigeant la protection de leurs territoires. L’effacement perpétré par les programmes scolaires français affecte encore plus fortement ces populations, à commencer par le manque de données disponibles à leur sujet. Le Groupe de travail international pour les affaires autochtones (IWGIA) affirme que, selon les estimations, les peuples autochtones représentent environ 4 % de la population guyanaise, soit plus de 12 000 personnes, mais il est impossible d’en être sûr, la Constitution française interdisant la collecte de données de recensement fondées sur la race.
Pendant des décennies, en Guyane, ainsi que dans de nombreuses régions adjacentes, l’éducation n’a existé que sous la forme d’écoles catholiques, des institutions résidentielles où les enfants autochtones étaient internés de force et devaient remplacer leurs traditions et leurs religions par les idéaux catholiques. Leurs langues maternelles étaient également interdites et les enfants apprenaient le français à la place.
Cet exemple illustre la manière dont l’école peut être utilisée comme tactique politique, la France coloniale ayant pris le risque de faire disparaître des connaissances autochtones inestimables afin de conserver son territoire. Aujourd’hui encore, le gouvernement français n’a pas traité directement la perte culturelle de la période de la Guyane en tant que colonie, et l’effacement des minorités autochtones reste un problème très présent, leur histoire, leur culture et leurs langues étant souvent ignorées par le système éducatif français.
Perspectives d’avenir
La Guyane souffre d’inégalités sociales et économiques qui bénéficieraient grandement d’un système éducatif mieux adapté à sa société extrêmement multiculturelle. Le gouvernement français a la responsabilité d’investir dans l’éducation en Guyane en construisant de nouvelles écoles, en préparant et en recrutant des enseignants locaux, ainsi qu’en formant les enseignants étrangers à la diversité de la société guyanaise. Cela permettrait de résoudre en partie le problème des écoles surchargées, tout en stimulant l’économie locale.
En plus de ces mesures, le gouvernement devrait également inclure dans les manuels scolaires et les examens standardisés davantage d’informations sur l’histoire, les cultures, la géographie, le climat et les religions présentes en Guyane, ce qui pourrait rendre l’école plus compréhensible pour les élèves et avoir un effet direct sur les taux d’abandon actuels. Un effort particulier doit être fait pour s’assurer que les peuples autochtones et les autres minorités ont accès à une éducation de qualité qui respecte également leur culture et leur héritage.
Afin d’apporter ces améliorations, il est essentiel que le gouvernement français suive l’évolution de ses investissements, soit en menant ses propres recherches sur le terrain, soit en s’appuyant sur les dirigeants locaux et les organisations non gouvernementales (ONG). Il est particulièrement important de collecter des données sur les taux de scolarisation dans l’enseignement primaire et secondaire, mais aussi de comprendre ce qui peut être fait pour s’assurer que ces enfants reçoivent une éducation de qualité et soient encouragés à terminer leurs études.
Références
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Article original en anglais : https://brokenchalk.org/educational-challenges-in-frenchguiana/