Les défis éducatifs en Côte d’Ivoire : répercussions des conflits et du travail des enfants dans le secteur du cacao
Écrit par Maja Przybyszewska
Traduit par Anis Mami
Imaginez. Imaginez des enfants qui vont à l’école tous les jours et apprennent à lire et à écrire. Imaginez des filles et des garçons assis dans une salle de classe et répétant à voix haute l’alphabet ou les tables de multiplication. Imaginez leurs sourires et les opportunités que l’éducation offre à chacun d’entre nous. Mais maintenant, quand vous y regardez de plus près, vous réalisez. Vous réalisez que la salle de classe est petite et délabrée, et que les fournitures scolaires font défaut. Vous réalisez que plus de la moitié des enfants ne savent ni lire ni écrire. Et vous réalisez que la plupart des enfants sont absents parce qu’ils doivent travailler dans les plantations de cacao pour aider leurs parents.
Lorsque Vous mangez du chocolat, Vous demandez-Vous comment il a été produit ou qui a participé à son élaboration ? Les conditions de travail sont-elles appropriées ? Et s’il s’agissait de travail forcé ? Avant d’acheter un produit et de soutenir certaines pratiques, ces questions devraient nous venir à l’esprit. En réfléchissant à cela, nous montrons notre soutien au commerce équitable et à la protection des droits humains fondamentaux, tels que le droit à l’éducation.
La Côte d’Ivoire produit plus de 40 % de la production mondiale de cacao, et le travail des enfants y est malheureusement monnaie courante. En 2013, on estimait à 1,4 million le nombre d’enfants qui travaillaient, dont 49 % dans le secteur agricole (UNICEF, 2019).
Cet article vise donc à sensibiliser le public aux défis éducatifs en Côte d’Ivoire. Pourquoi ce pays ? La motivation est le problème persistant du travail des enfants et le rôle de l’État dans la production mondiale de cacao. De plus, cet article se concentrera sur les questions suivantes : présenter un bref historique de l’instabilité politique dans le pays qui affecte négativement la scolarisation, décrire le travail des enfants dans le secteur du cacao, discuter de la situation actuelle de l’éducation dans le pays et rechercher des solutions possibles pour développer le secteur de l’éducation.
Des enfants aident les agriculteurs à casser des cabosses de cacao dans une exploitation agricole en Côte d’Ivoire.(Children join farmers in breaking cocoa pods on an Ivory Coast farm. Photo by) Photo : ©BENJAMIN LOWY (2016)
Bref historique de l’instabilité politique
La Côte d’Ivoire a souffert pendant plusieurs années d’instabilité politique et de conflits internes qui ont perturbé le pays et bouleversé la vie de plusieurs générations. En bref, l’État a connu deux guerres civiles, en 2002 et 2011, et l’instabilité était due aux tensions constantes entre deux hommes politiques ayant des ambitions présidentielles, Laurent Gbagbo, du Front populaire ivoirien, et Alassane Quattara, du Rassemblement des républicains. Les partisans de ces partis se sont livrés à des combats violents entre eux, car ils contestaient les résultats des élections. De plus, lors des manifestations de 2000-2004, des centaines de personnes ont été tuées et le gouvernement a été accusé de violations des droits de l’homme. Lors des élections de 2010, Quattara a remporté la victoire et gouverne depuis lors.
Néanmoins, en 2011, la violence s’est intensifiée et les affrontements ont été violents ; plus de 3 000 personnes ont perdu la vie. Ces événements ont attiré l’attention de la communauté internationale, qui a décidé d’intervenir. Depuis 2011, Laurent Gbagbo est détenu par la Cour pénale internationale et a été inculpé de crimes contre l’humanité (Global Security, n.d.).
Par conséquent, ces guerres ont des conséquences néfastes sur les civils et affectent l’éducation des enfants. Même si un conflit prend fin, ses répercussions dramatiques influencent l’économie du pays et sa société pendant les années qui suivent, par exemple en augmentant la pauvreté et en favorisant la propagation des maladies. Il convient de noter que les enfants sont les victimes de ces conflits, car ils sont souvent recrutés comme soldats ou subissent des violences. En outre, les écoles sont généralement détruites, ce qui empêche la poursuite de la scolarité en raison du manque d’infrastructures appropriées. D’un point de vue économique, de nombreuses familles perdent leurs ressources financières et ont besoin d’aide pour assurer à leurs enfants une éducation décente. À l’aune des recherches d’Idrissa Ouili, les enfants qui étaient sur le point de commencer l’école pendant la période d’instabilité avaient 10 % de chances en moins de commencer leur scolarité. De plus, de nombreux élèves ont connu une interruption de plus d’un an dans leur scolarité en raison des conflits (Ouili, 2017). Tous ces éléments illustrent les défis multidimensionnels auxquels sont confrontés les enfants et leurs enseignants dans leur parcours scolaire marqué par la violence.
Le travail des enfants dans l’industrie du cacao
Un autre point critique est la question du taux élevé de travail des enfants dans l’industrie du cacao. Les données montrent que plus de 40 % de la production mondiale de cacao provient de Côte d’Ivoire (Busquet, Bosma et Hummels, 2021). D’une part, cela signifie qu’il existe une demande de main-d’œuvre, et certains parents demandent à leurs enfants de travailler dans les plantations familiales au lieu d’aller à l’école. D’autre part, l’industrie du cacao est si profondément intégrée dans la vie des communautés locales que celles-ci considèrent le travail des enfants comme une partie intégrante de leur enfance et de leur culture. Une étude réalisée entre 2012 et 2015 par l’OIT (2015) montre que les filles et les garçons sont exposés à des risques élevés et aux dangers du travail dans l’industrie du cacao en raison du renforcement des mécanismes communautaires et institutionnels.
De plus, des études révèlent qu’en Afrique de l’Ouest, le niveau de travail des enfants dans la production de cacao a augmenté entre 2008 et 2014 pour atteindre 2 millions d’enfants âgés de 5 à 17 ans (Busquet, Bosma et Hummels, 2021). En outre, des études réalisées en 2018 indiquent qu’environ 90 % des mineurs effectuent des travaux dangereux, ce qui signifie qu’ils travaillent avec des outils tranchants, par exemple une machette, défrichent des terres, utilisent des produits agrochimiques et transportent des objets lourds (Busquet, Bosma et Hummels, 2021). Dans une série d’entretiens avec les agriculteurs et leurs familles, l’importance de l’éducation est rarement abordée, car on considère que l’agriculture est une expérience dont les enfants tireront profit dans loro vie future et leur carrière (Busquet, Bosma et Hummels, 2021).
En d’autres termes, de nombreux enfants ne peuvent pas profiter pleinement des possibilités d’éducation car ils doivent aider à la ferme ou partager leur temps entre l’école et un travail physique exigeant. Ces activités ont un impact négatif sur leur vie, car leur développement intellectuel est freiné et leur manque de compétences de base en lecture et en écriture leur causera des difficultés pour trouver un emploi sur le marché du travail à l’avenir.
Un autre aspect important est le droit des enfants à l’éducation. Les enfants et les jeunes de Côte d’Ivoire ne devraient pas être exclus d’une éducation de qualité pour des raisons économiques ou culturelles. De plus, l’État a l’obligation de respecter, protéger et réaliser le droit à l’éducation en vertu de la Convention contre la discrimination dans l’enseignement (UNESCO, n.d. ). Par conséquent, le pays doit prendre des mesures plus concluantes et adéquates pour augmenter la scolarisation des enfants et mettre fin aux pratiques de travail des enfants.
Les efforts visant à garantir les droits des enfants dans un contexte déchiré par les conflits sont encore insuffisants. Photo : ©EC/ECHO/Anouk Delafortrie
Situation actuelle de l’éducation
Le bilan de l’éducation en Côte d’Ivoire est malheureusement préoccupant. Même si le gouvernement consacre davantage de fonds à l’éducation que les autres pays d’Afrique subsaharienne, les résultats ne sont pas satisfaisants, car il existe encore d’énormes inégalités entre les zones rurales et urbaines et les compétences de base en matière d’alphabétisation sont continuellement négligées (Finch, Wolf et Lichand, 2022). Selon un rapport de l’OCDE publié en 2015, un jeune sur deux est analphabète et plus de la moitié des enfants ne savent ni lire ni écrire, la majorité d’entre eux étant des filles (environ 60 %) (OCDE, s.d.).
Toutefois, du côté positif, en 2016, le gouvernement a décidé de rendre l’école obligatoire et accessible à tous les enfants âgés de 6 à 16 ans et a relevé l’âge de l’emploi à temps plein de 14 à 16 ans. En outre, cette décision a été précédée d’une campagne de sensibilisation sur la traite des enfants, l’exploitation et le travail dangereux (The Guardian, 2022).
De plus, des organisations internationales telles que l’UNICEF ont apporté une aide considérable en renforçant les infrastructures éducatives et en organisant des cours supplémentaires pour les enfants. Certaines initiatives se sont principalement concentrées sur les filles en raison de la persistance des inégalités entre les sexes dans la scolarisation et des taux d’abandon scolaire élevés.
Solutions
En bref, l’éducation est essentielle au bien-être des enfants et au développement futur du pays. Les agriculteurs ne comprennent pas les conséquences néfastes à long terme, ce qui signifie qu’ils perturbent le développement sain de nombreux jeunes et produisent des générations futures de main-d’œuvre non qualifiée pour l’économie nationale. D’un point de vue économique, les circonstances qui nuisent à la scolarisation, comme l’instabilité politique ou le travail des enfants, peuvent entraver la croissance économique du pays. L’objectif principal du gouvernement de Côte d’Ivoire devrait être la protection des enfants et la garantie de leur éducation.
Tout d’abord, les autorités devraient accorder davantage d’attention à l’éducation préscolaire et sensibiliser efficacement la société. La gratuité et la scolarisation précoce pourraient inciter les parents à envoyer leurs enfants à l’école plutôt que dans les champs de cacao. De plus, des outils de suivi appropriés et une allocation transparente des fonds permettraient d’améliorer le niveau d’éducation dans le pays.
Deuxièmement, il convient de fournir les infrastructures nécessaires. Après des années de conflits, de nombreuses écoles ont été détruites et beaucoup d’autres continuent d’être des bâtiments délabrés. Les reconstruire et les équiper de manière adéquate permettrait aux élèves et aux enseignants de profiter davantage de l’apprentissage et de l’enseignement.
Enfin, comme la société soutient fortement la valeur éducative du travail, l’ouverture de nouveaux centres de formation professionnelle serait une excellente initiative. Ces centres contribuent à maintenir le parcours scolaire primaire et à doter les jeunes des compétences et aptitudes pratiques nécessaires pour s’adapter à un marché du travail en mutation.
Les conséquences des guerres civiles, l’importance culturelle profondément enracinée du travail et le recours au travail des enfants dans l’industrie du cacao ont un impact considérable sur l’éducation en Côte d’Ivoire. Avec le soutien des organisations internationales et l’amélioration des politiques gouvernementales, des centaines d’enfants ivoiriens pourraient passer plus de temps à apprendre et à jouer au lieu de travailler.
Mais que pouvons-nous faire à ce sujet ? Certains diront que nous n’avons aucun pouvoir. Pourtant, nous oublions souvent que nous sommes les consommateurs et que le pouvoir est littéralement entre nos mains. La prochaine fois que vous achèterez du chocolat, recherchez le label « FAIRTRADE ». Acheter ces produits signifie des conditions de travail plus sûres pour de nombreux enfants.
Chaque enfant mérite une enfance sûre et une éducation de qualité.
References:
Busquet, Milande, Niels Bosma, and Harry Hummels. 2021. “A Multidimensional Perspective on Child Labor in the Value Chain: The Case of the Cocoa Value Chain in West Africa.” World Development 146: 105601.
Finch, Jenna E, Sharon Wolf, and Guilherme Lichand. 2022. “Executive Functions, Motivation, and Children’s Academic Development in Côte d’Ivoire.” Developmental Psychology 58, no. 12: 2287–2301
Global Security. n.d. “Ivory Coast Conflict.” Accessed April 6, 2023. https://www.globalsecurity.org/military/world/war/ivory-coast.htm?utm_content=cmp-true.
ILO. 2015. “Creating a Protective Environment for Children in Cocoa-Growing Communities.” Accessed April 6, 2023. https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—dgreports/—exrel/documents/publication/wcms_409587.pdf.
OECD. n.d. “Key Issues affecting Youth in Côte d’Ivoire.” Accessed April 6, 2023. https://www.oecd.org/countries/cotedivoire/youth-issues-in-cote-ivoire.htm.
Ouili, Idrissa. 2017. “Armed Conflicts, Children’s Education and Mortality: New Evidence from Ivory Coast.” Journal of Family and Economic Issues 38, no. 2: 163–83.
The Guardian. 2022. “How Ivory Coast is winning the fight to keep its children out of the cocoa fields.” Accessed April 6, 2023. https://www.theguardian.com/global-development/2022/dec/27/how-ivory-coast-is-winning-the-fight-to-keep-its-children-out-of-the-cocoa-fields.
UNESCO. n.d. “State obligations and responsibilities on the right to education.” Accessed April 6, 2023. https://www.unesco.org/en/right-education/state-obligations-responsibilities?hub=70224.
UNESCO. n.d. “Convention against Discrimination in Education.” Accessed April 6, 2023. https://www.unesco.org/en/legal-affairs/convention-against-discrimination-education#item-3.
UNICEF. 2019. “Promoting the Rights of children in the Cocoa Producing Areas in Côte d’Ivoire.” Accessed April 6, 2023. https://open.unicef.org/sites/transparency/files/2020-06/Cote-d-Ivoire-TP5-2018.pdf.
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