by Leticia Cox
Taliban est devenu un synonyme d’élimination des femmes. Taliban est aussi devenu un autre mot pour évoquer la dégradation des conditions de vie, de la place et du rôle de la femme dans la société, et plus généralement de l’absence d’éducation ou de travail pour les femmes en dehors des tâches ménagères et de la procréation. Les talibans sont synonymes de privation des droits humains fondamentaux des femmes, qui vivent dans la peur, sans qu’aucune forme de dignité ne leur soit reconnue.
La plupart des Afghans, y compris certains talibans, ne sont pas favorables à l’exclusion des femmes et des filles du système éducatif et s’inquiètent sérieusement des conséquences pour l’ensemble du pays. Après l’annonce par les talibans de l’interdiction de l’accès des femmes à l’université, les étudiants ont abandonné leurs examens en signe de protestation contre la décision des talibans, et plusieurs professeurs ont démissionné. Des pays musulmans, tels que la Turquie, l’Arabie saoudite, le Pakistan et le Qatar, ont exprimé leurs inquiétudes face à l’interdiction de l’accès à l’université et ont exhorté les autorités talibanes à revenir sur leur décision. Depuis des décennies, le rôle de la charia est de plus en plus contesté dans le monde entier. La Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg (CEDH) a statué dans plusieurs affaires que la charia était « en conflit avec les principes fondamentaux de la démocratie ». Certaines pratiques traditionnelles entraînent de graves violations des droits de l’Homme, notamment en ce qui concerne les femmes et leur liberté d’éducation.
Les Talibans, connus sous le nom de Talib qui signifie « étudiant », ont cherché à mettre fin au règne des seigneurs de la guerre en Afghanistan par une adhésion plus stricte à la charia. Ils dirigèrent le pays de 1996 à 2001 sous le nom d’Émirat islamique d’Afghanistan, puis de nouveau depuis août 2021. Dès leur arrivée au pouvoir, les Talibans ont aboli le ministère de la femme ; les femmes ont été progressivement retirées du milieu médiatique. Les services de santé qui leur sont offerts sont limités, leurs possibilités d’emploi sont limitées et leur droit à l’éducation leur a été retiré. Au total, ce sont dizaines de milliers de femmes étaient au chômage dans différents secteurs. Toute vie sociale leur est déniée. Les femmes ont désormais besoin d’un tuteur masculin pour parcourir plus de 50 kilomètres ou pour entreprendre des tâches de base telles que pénétrer dans les bâtiments gouvernementaux, consulter un médecin ou prendre un taxi. Elles sont interdites de presque tous les emplois, à l’exception des professions médicales et, depuis mercredi, de l’enseignement. Les femmes ne peuvent plus non plus se rendre dans les parcs publics. L’interdiction faite par les talibans aux femmes et aux jeunes filles de s’instruire a condamné définitivement les Afghanes à un avenir plus sombre et sans perspectives d’avenir.
L’annonce récente des talibans de suspendre immédiatement et jusqu’à nouvel ordre l’accès des femmes aux universités du pays constitue une nouvelle étape dans la violation flagrante de l’égalité des droits de l’homme et de la femme consacrée par le droit international, mais aussi une violation des règles religieuses. Nous nous sommes entretenu avec Ali Unsal, écrivain, enseignant-chercheur et prédicateur expérimenté, docteur en théologie et en jurisprudence islamiques. Il a étudié dans les meilleures écoles de théologie de Turquie et vécut plusieurs années aux États-Unis, où il approfondit ses études et son expérience académique et professionnelle en s’engageant auprès des Américains musulmans et non musulmans par le biais de séminaires, d’ateliers, de conseils, de services communautaires locaux et d’écrits académiques. Il a dirigé l’Institut d’études islamiques et turques (IITS) à Fairfax, en Virginie. Le Dr Unsal organise différents séminaires et des discussions avec des universitaires de différents pays, et il parle couramment l’anglais, le turc, l’arabe, le dialecte indonésien et le tatar.
« Le premier commandement de l’islam est : lisez. L’islam exhorte les hommes et les femmes à rechercher la connaissance. Si le Coran s’adresse aux êtres humains, il conseille aux hommes comme aux femmes d’acquérir des connaissances, de trouver la vérité, de révéler et de développer leur propre potentiel et de devenir des êtres humains parfaits », a affirmé le docteur Ali Unsal, titulaire d’un doctorat en théologie islamique, lors d’une récente interview pour Broken Chalk. Selon le Dr Unsal, le prophète Mahomet lui-même a encouragé l’éducation et l’instruction des filles, qui ont été particulièrement méprisées et sous-estimées au cours de l’Histoire. « Par exemple, dans l’un de ses hadiths, Quiconque élève et discipline deux filles jusqu’à ce qu’elles atteignent l’âge adulte, sera à nos côtés le jour du jugement », explique le Dr Unsal. « Lorsque des femmes sont venues le voir pour lui dire qu’il enseignait constamment aux hommes dans la mosquée et transmettait le message d’Allah, mais que les femmes en étaient privées, il leur a accordé un temps spécial et leur a donné une sorte d’éducation. « Aïcha, l’épouse du prophète Mahomet, est devenue l’une des plus éminentes érudites de son temps. Tout le monde venait apprendre d’elle ce qui lui manquait. Dans l’Histoire de l’islam, les femmes ont occupé une place importante dans la vie scientifique et culturelle. La poursuite de l’éducation dans une structure non officielle dans le monde islamique et l’attachement au maître plutôt qu’à l’école ont permis aux femmes de recevoir plus facilement l’enseignement des savants de leur entourage. Parmi les maîtres de Tâceddin es-Subki, l’un des grands savants islamiques, qui ont écouté et appris des hadiths, 19 femmes sont mentionnées. Suyûtî a appris des hadiths de 33 femmes, İbn-i Hacer de 53 et İbn-i Asâkir de 80 d’entre elles», poursuit le Dr Unsal.
Plusieurs sources médiatiques ont fait état de la présence de forces talibanes devant les universités de Kaboul depuis l’interdiction, empêchant les femmes d’entrer dans les bâtiments tout en permettant aux hommes d’y pénétrer et de terminer leur travail. Le ministre de l’enseignement supérieur, Nida Mohammad Nadim, ancien gouverneur de province, chef de la police et commandant militaire, s’oppose fermement à l’éducation des femmes, estimant qu’elle va à l’encontre des valeurs islamiques et afghanes. Le ministre Nadim a également déclaré aux médias que l’interdiction était nécessaire pour plusieurs raisons : empêcher la mixité dans les universités car les femmes ne respectent pas le code vestimentaire, parce que les étudiantes allaient dans d’autres provinces et vivaient sans leur famille, et parce que l’étude de certains sujets et les cours enseignés violaient les principes de l’islam. Ces raisons ne semblent pas convaincantes pour l’opinion publique mondiale. Le 24 août de l’année dernière, les ministres des affaires étrangères du G7 – réunissant l’Allemagne, le Canada, les États-Unis d’Amérique, la France, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni – ont exhorté les talibans à revenir sur l’interdiction de l’éducation des femmes, avertissant que « la persécution fondée sur le sexe peut constituer un crime contre l’humanité qui fera l’objet de poursuites judiciaires. » (verbatim).
« À mon avis, cela n’a rien à voir avec l’islam », nous a affirmé le Dr Unsal durant notre entretien. « Parce que cela va totalement à l’encontre des traditions pachtounes. Selon les mœurs locales, une femme ne doit rester à la maison, ne faire que la cuisine, ne donner naissance à un enfant et ne pas sortir que si c’est absolument nécessaire. Cela n’a rien à voir avec l’islam. Car la femme du prophète elle-même était une grande femme d’affaires. Les femmes étaient présentes dans tous les domaines de la vie sociale. Au marché, à la mosquée. Le calife Omar a nommé une femme, Sifa, comme inspectrice pour superviser le bazar ».
« À mon avis, il peut y avoir deux raisons à ces mesures restrictives », nous a détaillé le Dr Unsal. « D’une part, ces hommes n’ont aucune expérience de l’État. Ils ne sont pas en mesure d’interpréter correctement la dynamique de la société. Ils ont encore une mentalité tribale. Cela les pousse à mener une politique nocive et nuisible au collectif puisqu’ils peuvent pas englober tous les segments de la société. Le second est une sorte de changement de perspective ou une sorte d’ignorance. Ils interprètent l’Islam en fonction de leur propre culture tribale. Malheureusement, cette interprétation est à la fois contraire à l’universalité de l’Islam et est loin de répondre aux besoins des temps modernes. C’est pourquoi ils agissent avec une interprétation radicale et marginale. »
Dans tout le pays, les talibans ont interdit aux filles d’aller à l’école au-delà de la sixième année, ont empêché les femmes de travailler et leur ont ordonné de porter une burqa ou un vêtement de la tête aux pieds en public. Les femmes ont également été interdites dans les parcs et les gymnases.
« De nombreuses jeunes filles sont traumatisées lorsqu’elles sont détenues. Certaines familles qui ont fait l’objet de reportages ont déclaré que leur fille pleurait constamment et qu’elle ne pouvait pas être réconfortée. Les jeunes et les familles sont inquiets pour leur avenir », affirme le Dr Unsal.
« Nos sœurs et nos hommes ont les mêmes droits ; ils pourront bénéficier de leurs droits. Bien sûr, dans le cadre qui est le nôtre », a déclaré en janvier dernier Zabihullah Mujahid, porte-parole et vice-ministre de l’Information du gouvernement taliban.
Malgré les promesses initiales d’une charia plus modérée et du respect des droits des femmes, les talibans ont mis en œuvre leur interprétation de la loi islamique (charia) depuis qu’ils ont pris le contrôle du pays en août 2021, et des preuves montrant que les talibans violent ce droit fondamental à l’égalité des sexes continuent d’apparaître aux yeux du monde entier.
Husna Jalal a fui l’Afghanistan en août de l’année dernière, après la prise de contrôle de la ville de Kaboul par les talibans. Elle a travaillé pendant quatre ans à Kaboul après avoir obtenu son diplôme universitaire, mais comme de nombreuses femmes afghanes qui travaillent, elle avait prédit que la charia stricte serait mise en œuvre peu après la prise du pays par les talibans.
« Il n’y a aucune justification religieuse ou culturelle à cela », a déclaré Husna Jalal, 26 ans, diplômée en sciences politiques à Kaboul. « C’est déchirant de voir mes sœurs violer leurs droits humains fondamentaux. Je les ai vues défiler dans les rues en réclamant la liberté et l’égalité, et j’ai vu les forces de sécurité talibanes utiliser la violence pour disperser le groupe et les empêcher d’exercer leur liberté d’expression. Les gens du monde entier doivent élever la voix pour mes sœurs ; les talibans nous ont ôté tous nos espoirs. »
Husna Jalal est explicite en ce qui concerne l’aide que peut apporter la communauté internationale : « Les femmes afghanes sont fatiguées de parler et de partager leurs histoires avec la presse et les organisations étrangères. Elles ont l’impression que personne ne les aidera ou ne peut les aider. » Selon le professeur Jalal, arrêté le 8 janvier dernier par le régime taliban pour avoir critiqué le régime, « l’Union Européenne devrait cesser de financer les activités des talibans. Les enfants des familles talibanes dans les universités étrangères devraient être renvoyés en Afghanistan pour y étudier. Les donateurs internationaux devraient quant à eux identifier et exercer l’influence qu’ils ont sur les talibans, que ce soit par des sanctions diplomatiques, des sanctions économiques, de l’aide, des pressions politiques ou d’autres moyens. Ils devraient s’en servir pour faire pression en faveur d’engagements concrets en matière de droits des femmes, qui soient significatifs pour les femmes et les jeunes filles et mesurables par le biais d’un suivi. »
Toutefois, selon le Dr Unsal, les sanctions des donateurs internationaux risqueraient d’avoir des effets limités : « Les Talibans ont un caractère tenace et rude. Leur argumentaire est le suivant : ‘Ne vous mêlez pas de nos affaires intérieures’. Le mieux serait que les sociétés musulmanes, telles que l’Organisation de la conférence islamique ou l’Organisation de la coopération islamique, ou encore les communautés d’érudits islamiques, agissent en collaboration avec les organisations de défense des droits de l’homme, ce qui permettrait d’obtenir des résultats plus rapides. »
« Par ailleurs, certains pays avec lesquels les talibans, certes non pas ceux du monde occidental mais du monde islamique, peuvent coopérer, peuvent contribuer à apaiser cette tension par l’intermédiaire de leurs universitaires. En outre, certaines universités ou organisations internationales peuvent offrir des possibilités de formation et proposer des conférences, des cours et des diplômes gratuits. », a suggéré le Dr Unsal.
L’éducation est un droit de l’homme internationalement reconnu, essentiel à la croissance économique et à la stabilité de l’Afghanistan. Les Talibans sont tenus, en vertu du droit international et de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de respecter pleinement les droits des femmes. L’Afghanistan a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes en 2003. Les Talibans héritent des obligations de l’Afghanistan en vertu de cette convention, notamment celle de « poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes ».
La conclusion du Dr Unsal est claire : « La moitié de la société est composée d’hommes et l’autre moitié de femmes. Les filles ont donc le même droit à l’éducation que les garçons. Les femmes peuvent jouer un rôle essentiel dans tous les domaines de la vie. Dans certains domaines, elles peuvent faire mieux que les hommes. Cette décision du ministère afghan de l’éducation nationale est à la fois une violation des droits de l’Homme et un malheur pour l’Afghanistan ».
*La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) est un document qui fait date dans l’histoire des droits de l’Homme. Rédigée par des représentants de toutes les régions du monde, issus de milieux juridiques et culturels différents, la Déclaration a été proclamée par l’Assemblée générale des Nations unies à Paris le 10 décembre 1948 (résolution 217 A de l’Assemblée générale) comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations. Elle énonce, pour la première fois, les droits fondamentaux de l’homme qui doivent être universellement protégés et a été traduite dans plus de 500 langues. La DUDH est largement reconnue comme ayant inspiré et ouvert la voie à l’adoption de plus de soixante-dix traités relatifs aux droits de l’homme, appliqués aujourd’hui de manière permanente aux niveaux mondial et régional (tous contiennent des références à la DUDH dans leur préambule).
References;
https://en.wikipedia.org/wiki/War_in_Afghanistan_(2001–2021)
https://www.ohchr.org/en/countries/afghanistan
https://www.bbc.com/news/world-south-asia-11451718
https://amp.cnn.com/cnn/2021/12/03/asia/afghanistan-taliban-decree-womens-rights-intl/index.html
https://edition.cnn.com/2022/12/20/asia/taliban-bans-women-university-education-intl/index.html
https://www.right-to-education.org/page/campaign
https://www.unesco.org/en/education/right-education/campaign
https://www.hrw.org/news/2021/09/02/how-international-community-can-protect-afghan-women-and-girls